Pour juger sainement de la qualite de ces bois, il faut entrer dans le
detail de ce qui en regarde la coupe, le transport a Quebec, et l'employ a
la construction.
Premierement: Ces bois du Canada sont extremement droits, ce n'est qu'avec
beaucoup de peine qu'on trouve dans leurs racines des bois tords, propres
a la construction.
Deuxiemement: Jusqu'a present on n'a exploite que les Chenieres les plus
voisines des rivieres, et consequemment situees dans les lieux bas, a
cause de la facilite de transport.
Troisiemement: Les bois sont coupes en hiver; on les traine sur la neige
jusques au bord des rivieres et des lacs; lorsque la fonte des neiges et
des glaces a rendu la navigation libre, on les met en radeaux pour les
descendre a Quebec, ou ils restent longtems dans l'eau, avant d'etre tires
a terre, et ou ils en contractent une mousse qui les echauffe; encore
imbibes d'eau, ils sont exposes dans un chantier a toute l'ardeur du
soleil de l'ete; l'hiver qui succede les couvre une seconde fois de neige,
que le printems fait fondre, et ainsi successivement jusqu'a ce qu'ils
soient employes; enfin, ils restent deux ans sur les chantiers, ou de
nouveau ils essuyent deux fois l'extremite du froid et du chaud qu'on sent
dans ce climat.
Voila les causes du peu de duree de ces vaisseaux:
Si on coupoit les bois sur les hauteurs; s'ils etoient transportes a
Quebec dans des barques; si on les garantissoit des injures du tems dans
des hangars, et si les vaisseaux ne restoient qu'une annee sur les
chantiers il est evident qu'ils dureroient plus longtems. Dans la
demolition de ceux qui ont ete condamnes en France, on a reconnu que les
bordages s'etoient bien conserves, et qu'ils etoient aussi bons que ceux
qu'on tire de Sede; mais que les membres en etoient pourris. Est-il
etonnant que les bois tords pris a la racine d'arbres qui avoient le pied
dans l'eau qu'on n'a pas eu attention de faire secher a couvert,
s'echauffent quand ils se trouvent enfermes entre deux bordages?
Je ne vois donc pas que les raisons alleguees centre les vaisseaux de
Quebec soient suffisantes pour en faire cesser la construction. Je dis
plus, que le Roy fait en Canada, celle de la construction me paroit la
plus necessaire, et celle qui peut devenir la plus utile. Tout esprit non
prevenu sera force de convenir qu'on y fera construire des vaisseaux avec
plus d'economie que dans les ports de France, toutes les fois qu'on ne
confondra pas d'autres depenses avec celles de la construction.
D'ailleurs, il est important qu'il y ait a Quebec un certain nombre de
charpentiers et de calfats; il en manque aujourd'hui, malgre ceux que le
Roy entretient; et lorsque les particuliers en ont besoin au printems, ils
n'en trouvent point; un calfat se paye six francs pour une maree.